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C’est vraiment trop injuste… Pourquoi pas nous ?

C’est vraiment trop injuste… Pourquoi pas nous ?

Nous avons également publié cet article sur le portail de la communication en Rhône-Alpes Intermédia

C'est vraiment trop injuste... Pourquoi pas nous ? - Article blog EKNO - Jean-Marc ATLANDans la torpeur de cette fin d’été et quelques jours avant la démission du gouvernement, une étude sur les dividendes publiée par Henderson Global Investors n’a pas manqué d’agiter le landerneau politico-médiatique. Avec des chiffres qui devraient sans aucun doute alimenter en petites phrases les commentaires des jours à venir dans la recomposition politique qui s’opère sous nos yeux.

Proposition indécente

Que l’on en juge : les dividendes versés aux actionnaires au second trimestre 2014 par les sociétés cotées en bourse ont enregistré à l’échelle mondiale une croissance de 12 % ! Jusque-là rien de très neuf ou de très extravagant. Simplement une énième preuve vivante aux yeux de tous du cannibalisme actionnarial non ? Le scandale et le drame sont ailleurs… C’est en effet en France que cette croissance des dividendes apparaît la plus marquée avec une hausse de 30 % !! Quoi ? Ce serait donc chez nous, dans notre pays chantre de la justice sociale, de l’égalité en toute chose, ennemi déclaré de la finance, pourfendeur de la rente, héritier des Lumières, que la voracité des actionnaires serait aujourd’hui la plus goulue ?

C'est vraiment trop injuste... Pourquoi pas nous ? - Article blog EKNO - Jean-Marc ATLANJe me pince, au risque d’écailler mon bronzage. Que penser de ce chiffre ? Devrions-nous avoir honte ? Je tente de me remémorer vaguement mes lointains cours de finance. Une telle progression ne serait-elle pas d’abord une bonne nouvelle quant à la santé économique de nos entreprises françaises ? Mais je m’égare, l’heure n’est pas à la satisfaction ou à l’optimisme, mais à l’opprobre et la radicalité en toute chose. « L’indécence » titre, rageur, Libération en couverture, avec au passage un cruel manque d’élégance pour la merveilleuse Juliette Binoche, partageant malencontreusement la une en photo … Et le journal de nous décrire par le menu une France esclavagisée par la finance et « l’économie casino ». On pourrait s’en amuser au passage tant Libé fait référence en matière de rinçage d’actionnaires, mais bon, cela est un autre débat.

César

Car nous en France, nous aimons définitivement les choses simples. Les dividendes augmentent, les investissements baissent, pourquoi chercher la subtilité, c’est mécaniquement un lien de cause à effet… On verse de l’argent aux actionnaires plutôt que d’investir ou de créer des emplois. Toujours dans la simplicité, on distribue des milliards aux entreprises via le CICE et les dividendes augmentent, c’est donc que « le patronat » – terme qui, au passage, revient furieusement à la mode, ce qui n’est jamais très bon signe pour la maturité du débat public – a confisqué l’argent des français pour le donner aux actionnaires. Évident. Imparable. Nos gouvernants ont déjà enfourché ce cheval pour appeler « le patronat » à ses responsabilités. L’atonie de l’économie mondiale et les pratiques budgétaires honteuses de l’Allemagne – l’enfer, c’est toujours les autres – ne sont plus en effet des boucs-émissaires suffisants pour expliquer les piètres performances de l’économie française.

Au pays des choses simples, il y a toujours des solutions politiques évidentes à des problèmes complexes. Prenez cette fameuse image des trois tiers, bien instrumentalisée par Nicolas Sarkozy ou Arnaud Montebourg par exemple. Il n’est d’ailleurs pas anodin que ce soit par eux deux, qui occupent résolument le même registre du volontarisme politique affiché. En cultivant les mêmes effets de manche et les mêmes ficelles de langage. Les experts s’interrogent sur la répartition idéale des bénéfices d’une entreprise ? Notre ancien président avait une réponse simplissime pour cette équation subtile : un tiers pour les actionnaires, un tiers pour les investissements, un tiers pour les salariés. Et hop, tout est dit. C’est naturellement juste, un tiers pour chacun. Peu importe que cette approche normative n’ait strictement aucun sens stratégique ou économique selon les situations financières et les besoins de chaque entreprise ou secteur. Les économistes débattent de la meilleure affectation possible des économies de dépenses publiques, feu notre Ministre de l’Économie et du Redressement Productif a pourtant la clé ! Un tiers pour baisser le déficit, un tiers pour les ménages, un tiers pour les entreprises. Et hop, tout est encore dit. Quel bonheur que cette règle des trois tiers, nouvel alpha et oméga symboliques de l’action politico-économique à la française. Pour les accrocs de Pagnol, dont je fais partie, reste quand même un doute sur le bien-fondé de cette approche. Car, comme le répondait César à son fils Marius l’interrogeant sur sa répartition en quatre tiers pour doser un mandarin-citron-curaçao, « Mais, imbécile, ca dépend de la grosseur des tiers !… ». Dans sa grande sagesse provençale, César ajoutait d’ailleurs pour clore le débat : « Quand on ne sait plus quoi dire, on cherche à détourner la conversation… ».

Ma part du gâteau

Préparons-nous donc, car une nouvelle théorie des tiers pourrait bien refaire surface dans les jours prochains pour agrémenter ce beau et éternel débat sur l’investissement des entreprises et la rémunération du capital. Dans cette optique, il n’est pas inutile de remettre un peu en perspective ce chiffre publié sur l’augmentation des dividendes.

Pour rappeler tout d’abord qu’il n’y a, quoiqu’on en pense, aucun lien démontré entre augmentation des dividendes et baisse des investissements, ou, tout au moins que l’ordre des facteurs n’est peut-être pas celui qu’on pense au premier abord. Si les entreprises investissent moins, c’est surtout par manque de confiance, d’optimisme, de marchés et de perspectives d’avenir. C’est bien cela la mauvaise nouvelle. Et non parce que leur priorité serait de servir des actionnaires les privant ainsi de capital pour investir. Les entreprises manquent de confiance et de projets, elles restituent donc un surplus de liquidités à leurs actionnaires. Une étude récente auprès des gestionnaires de fonds a d’ailleurs clairement indiqué que ces derniers souhaitaient voir les entreprises investir davantage plutôt que de distribuer des dividendes ou procéder à des rachats d’actions. Un constat peu surprenant pour qui côtoie au quotidien l’univers boursier, les analystes et les investisseurs. Un constat inaudible en France où l’actionnaire ne peut être qu’un affreux capitaliste dont la cupidité n’a d’égale que la longueur du cigare. Cigare cubain forcément, non sans une certaine ironie de l’histoire.

Pour indiquer ensuite que s’il y a eu en France dans les périodes récentes une augmentation des dividendes versés, ce qui est un fait établi, c’est aussi, plus structurellement le signe d’une évolution profonde de la nature du financement des entreprises hexagonales. Alors qu’elles privilégiaient traditionnellement le recours au crédit bancaire, elles ont favorisé le financement sur fonds propres depuis deux décennies, avec un coût de la dette en baisse d’un tiers sur cette période. Logiquement, la part dédiée aux dividendes a donc augmenté pour rémunérer un recours accru aux fonds propres, d’ailleurs dans des proportions très comparables à la baisse des frais financiers. Moins de charges de remboursement des intérêts d’emprunt et plus de dividendes. Ces deux mouvements s’équilibrant, on retiendra que le coût du capital ne semble pas avoir augmenté au final pour le financement des entreprises depuis 20 ans en France. Monsieur Hamon, très éphémère Ministre de l’Education (non financière), qui nous expliquait voici quelques mois que les marges des entreprises allemandes étaient en moyenne plus élevées que les entreprises françaises parce qu’elles versaient moins de dividendes (sic ! comme si les dividendes rentraient dans la formation des marges comptables…. ?), va devoir trouver un autre canasson anti-libéral que son refrain sur le coût du capital dans sa nouvelle vie d’opposant dans la majorité.

Pour rappeler, enfin, que la multiplication des commentaires sur un pourcentage sorti de son contexte, constitue toujours un exercice périlleux. Les dividendes versés cette année ont certes augmenté de 30 %, mais demandons nous d’abord à quoi cela se compare, le second trimestre 2013 avait-il quelques éléments exceptionnels ? Et surtout, qu’est-ce que cela représente non seulement en masse mais surtout au regard de l’investissement consenti par les actionnaires en question ? Sur la dernière décennie écoulée, le rendement des actions – c’est-à-dire le montant des dividendes versés rapporté à la valeur des titres en question – représente en moyenne 5.1 %. Cela ne paraît pas constituer un montant particulièrement indécent pour la rémunération annuelle moyenne d’un investissement à risque… Sauf peut-être dans un pays comme la France qui prétend sans sourire, et surtout sans nuance, vouloir taxer le capital dans les mêmes termes que le travail, – toujours cette inclination pour les formules égalitaristes toutes faites – sans distinguer ce qui relève de l’investissement à risque du reste ! Et rappelons au passage que la rémunération d’un actionnaire comporte toujours deux volets : le dividende, certes, mais aussi l’évolution de la valeur de l’action, à la hausse ou à la baisse. Certaines valeurs ont longtemps crevé les plafonds pour leurs actionnaires, sans verser aucun dividende pour autant. C’est le cas d’Apple jusque très récemment ! Et, à l’inverse, les dividendes versés ne compensent souvent pas la perte de valeur de certains titres, particulièrement dans les périodes boursières chahutées comme ces dernières années. Ne soyons donc pas trop manichéens, le versement de dividende n’est pas systématiquement et obligatoirement le miroir de l’appétit vorace des actionnaires.

Une nuit au musée

Pour conclure cette chronique estivalo-financière, je me posais une question toute bête. Au risque de la simplicité. Puisque les actionnaires feraient, semble-t-il, l’objet de toutes les faveurs des entreprises françaises, plutôt que de geindre et de caricaturer en permanence, pourquoi ne deviendrions-nous pas alors en masse… des actionnaires de nos propres entreprises ? Pourquoi pas nous ? C’est vrai, cela semble si simple, tout en rapportant toujours beaucoup et sans risque apparent. Pourquoi laisserions-nous donc cette fantastique martingale aux autres ? Je m’étonne en effet qu’aucun politique ou journaliste ne pose cette question toute simple et ne nous présente l’équation en ces termes.

Une étude récente de l’Observatoire de l’Épargne Européenne nous indique que les entreprises françaises cotées en bourse appartiennent à 43 % à des actionnaires étrangers, un chiffre qui atteint en moyenne 50 % pour les entreprises du CAC 40 et 72 % pour le groupe Total par exemple. Le premier propriétaire des entreprises françaises cotées est le fond souverain… norvégien. Les actionnaires individuels français, qui détenaient 25 % de la cote en 1995, ne représentent plus que 10 % du capital des sociétés hexagonales présentes en bourse, une fois essorés par la bulle internet et la crise financière. L’État et les administrations publiques détiennent 7 %  soit presque moitié moins qu’en 2008. Bref et en résumé, la détention des entreprises françaises par des actionnaires hexagonaux n’a jamais été aussi faible !

Quel dommage me direz-vous que la performance des entreprises françaises profite si peu au patrimoine national… Et qu’une part si importante de la richesse qu’elles créent et des dividendes qu’elles versent vienne gonfler les poches des retraités anglo-saxons ou de nos amis norvégiens. Qui semblent croire plus en nous que nous-mêmes ! A l’instar du patrimoine de nos ministres que nous commentions dans une précédente chronique, le taux d’épargne des français n’a jamais été aussi élevé – 16 % – et si ostensiblement orienté sur l’immobilier et le livret A ou équivalent. Un tel volant d’épargne discrédite et tord le cou, soit dit en passant, à l’analyse des députés et ex-ministres « frondeurs » réclamant à cor et à cri une relance par la demande… On voit bien en effet que la problématique d’investissement comme de consommation réside moins dans un manque de moyens que dans un manque de confiance.

Il est urgent que nous changions de registre, que nous valorisions aussi les actionnaires qui prennent justement le risque de cette confiance, et que nous favorisions l’investissement résident dans nos entreprises. L’émergence d’un actionnariat français plus conséquent contribuera au passage à ancrer plus solidement dans l’hexagone les centres de décision de nos grandes entreprises. Cela supposera de savoir briser quelques tabous et permettre par exemple l’émergence de fonds de pension à la française, ouverts aux salariés du privé, à l’image de ce que l’Etat français a su mettre en place pour ses fonctionnaires, avec tous les avantages fiscaux associés.

Sinon, dans un pays si averse au risque, qui aime et protège à ce point la rente et les rentiers, méprise si ouvertement les actionnaires – au moins pour une partie non négligeable de ses élites politico-médiatiques de tous bords –, qui fiscalise la détention d’actions tout en exonérant les œuvres d’art, nous aurons toujours beaucoup moins de chances de finir en laboratoire d’initiatives et d’innovations, de croissance et d’emplois qu’en sympathique musée.

Un musée où un tiers de toiles de maîtres et un tiers de bas de laine côtoieront un tiers d’illusions perdues.

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« La Bourse, j’en ai rien à cirer. » – Édith Cresson

 « Un financier, ça n’a jamais de remords. Même pas de regrets. Tout simplement la pétoche. » 
- Michel Audiard

« Il ne suffit pas d’avoir des actions en bourse, encore faut-il avoir des bourses en action. » – Frédéric Dard